Oeuvres - Présentation - Critiques

Les oeuvres de Sándor Márai
Présentation et critiques des oeuvres traduite en français
(page en construction)

Les oeuvres sont présentées ici selon leur date de parution en français (du plus ancien au plus récent).

La conversation de Bolzano
traduit par Natalia Zaremba-Huzsvai et  Charles Zaremba - Albin Michel, avril 1992

Titre original : "Vendégjáték Bolzanóban" (Spectacle invité à Bolzano), 1940

Présentation (4ème de couverture de l'édition en livre de poche)


Casanova, à peine échappé des "plombs" de Venise, se réfugie à Bolzano où la nouvelle de son arrivée met la ville en émoi.
Aux prises avec l'âme juvénile et exaltée de Francesca et l'inquiétant comte de Parme, son vieil époux, il rencontre et finit par vaincre à sa manière la tentation de l'Amour.
Inspiré d'un épisode de la vie de Casanova, La Conversation de Bolzano met en scène une aventure troublante du séducteur vénitien. Ecrit dans une langue toute musicale, construit comme un opéra, ce roman splendide qui connut un grand succès dans la Hongrie des années quarante est l'oeuvre d'un des plus grands stylistes hongrois.

Note : les quatre derniers chapitres du roman ont été mis en scène par Jean-Louis Thamin et représentés au théatre de l'Atalante à Paris en avril 2012.

 
Critiques
Sur Babelio (http://www.babelio.com/livres/ ), par cecedille, le 8 octobre 2012
L'auteur ne dissimule pas que son héros, juste échappé de la prison des plombs de Venise, n'est autre que le célèbre Casanova. le fuyard, qui porte beau, malgré ses épreuves, s'attarde à Bolzano pour une aventure, sentimentale assurément, qui prend un tour inédit. On n'en révélera rien, pour ménager la surprise du lecteur. A l'occasion d'une étrange conversation nocturne, à couteaux tirés, prend place le commentaire le plus long sur la lettre d'amour la plus courte, et, derrière masques et faux semblants, les propos les plus crus sur l'Amour, tels qu'on ne les avait lus depuis "La Princesse de Clèves" et "Les liaisons dangereuses".
"Tel est pris qui croyait prendre" pourrait être la morale, provisoire, de cette nuit singulière et inoubliable.
Du grand Màrai !
Sur Critiqueslibres (http://www.critiqueslibres.com/ ), par Jlc, le 4 juillet 2006
Tout grand écrivain n’écrit pas que de grands livres et c’est, tristement, le cas ici. Comme toujours chez Marai, on retrouve sa façon de faire en de longs échanges entre les protagonistes, une écriture souvent somptueuse, un style de belle élégance. Mais l’auteur ne nous fait pas la conversation, il aligne une suite de longs monologues et ce qui dans « Les braises » est superbement rendu est ici bien fade, voire ennuyeux. Ceci tient au fait que le sujet de ce roman est trop petit, le fil trop ténu pour nous intéresser 300 pages durant. Ce livre est un très clair démenti au mot de Jacques Chardonne pour qui « quand un écrivain a du style, ce qu’il dit a peu d’importance. » Dans « La conversation de Bolzano », les mots y sont, les idées non. On ne converse pas, on discourt, on n’écoute pas, on affirme. Chose significative : les paragraphes sont extrêmement longs, sans respiration pour celui qui entend et ne peut réagir. Nous sommes loin de la commedia dell’arte, de la grâce d’un Fragonard, de l’enchantement lumineux d’un Mozart, de la spontanéité d’un Marivaux.

Les révoltés
traduit par Ladislas Gara et Marcel Largeaud - Albin Michel, avril 1992
Titre original : "A zendülők" (La révolte), 1930 ; retravaillé en 1945, puis augmenté et incorporé en 1988 en tant que première partie dans "L’Œuvre des Garren"  (pas encore traduit en français)


Présentation (4ème de couverture de l'édition en livre de poche)  

Tandis que leurs pères sont au front, des adolescents découvrent en bande leur indépendance. Livrés à eux-mêmes, menés par les démons de leur révolte, ils inventent des jeux qui leur permettent de renverser le monde des adultes, d'échapper à l'autorité de leur famille. C'est l'apprentissage de tous les dangers, de toutes les déraisons.

Sur fond de guerre, la découverte de la vie, de la sexualité, le passage du rêve de l'enfance aux réalités du monde ne vont pas sans danger.





Écrit en 1929, roman du destin hongrois, des grands bouleversements nés de la Première Guerre mondiale,
Les Révoltés, où le Cocteau des Enfants terribles sut se reconnaître, mêle de façon admirablement réussie les troubles de l'adolescence et la confusion d'une époque.

Critiques

Les confessions d'un bourgeois
traduit par Zéno Bianu et Georges Kassai - Albin Michel, septembre 1993
Titre original : "Egy polgár vallomásai" (Les confessions d’un bourgeois), 1934-1935 

Présentation  (4ème de couverture de l'édition en livre de poche)

Avec cette grande « histoire de famille » inspirée par la vie des siens, l'écrivain hongrois Sàndor Màrai (1900­1989) écrit sa Confession d'un enfant du siècle, tout à la fois itinéraire personnel et description subtile de la bourgeoisie hongroise au début du xxe siècle. Màrai, intellectuel, voya-geur, journaliste à la Frankfurter Zeitung, fréquentant à son heure les cercles de Montparnasse, se souvient de ses ancêtres, riches arti­sans d'origine saxonne ou morave, des traditions et des idéaux qui ont peu à peu pétri un milieu épris de démocratie et de modernité avant que, à l'image des Buddenbrook de Thomas Mann, son accession au pou­voir et l'oubli de ses devoirs ne le condamnent au déclin.
Mêlant mémoires et confessions, retraçant son propre parcours d'artiste, l'auteur de La Conversation de Bolzano et des Révoltés dit sa fidélité aux origines, évoque le bonheur d'une petite ville hongroise de pro­vince où cohabitent Hongrois, Allemands, Slovaques, Juifs, et qui prend rapidement la dimension du monde.
 
Critiques

Paix à Ithaque
traduit par Eve Barre - Editions In Fine, 1995 - Livre de Poche
Titre original : "Béke Ithakában" (Paix à Ithaque), 1952

Présentation (4ème de couverture de l'édition en livre de poche)

Avec ce roman paru en 1952, Màrai nous transporte parmi les héros d'Homère, au milieu des dieux, des demi-dieux et des nymphes, dans la vie cossue des Phéaciens, dans la simple atmosphère rurale du royaume d'Ulysse. Qui est Ulysse ? Telle est la question complexe à laquelle vont s'efforcer de répondre Pénélope, Télémaque et Télégonos. Pénélope évoque avec nostalgie son époux voyageur, amoureux et jaloux, brutal, vindicatif, qui avait pour patrie le changement. Télémaque partira sur les traces de son père pour percer le mystère dont une partie de sa vie est entourée. Puis Télégonos, le fils qu'Ulysse a eu de Circé, se livrera à la même enquête sur le père qu'il ne rencontrera que le jour où s'accomplira l'oracle de Delphes et où il tuera Ulysse à son dernier retour à Ithaque. Télémaque découvrira que son père a été la première créature qui fut, sans conteste, homme, qui eut sans équivoque un comportement humain. Calypso lui confiera qu'Ulysse lui refusa d'accéder à l'im­mortalité : « Il dit qu'il avait décidé et qu'il avait choisi, qu'il préférait rester homme.»
Paix à Ithaque !est une grande fresque sur les démêlés des dieux et des hommes, sur les passions humaines, sur l'amour et la jalousie, sur la vie et la mort.
C'est le plus bel hommage qu'un grand écrivain moderne pouvait rendre au génie d'Homère.
Raymond Barre.
Critiques


Les braises
traduit par  Georges Regnier et  Marcelle Regnier - Albin Michel, février 1995
Titre original : "A gyertyák csonkig égnek " (Les bougies se consument jusqu'au bout), 1942

Présentation (site de l'éditeur)                
 A travers la dramatique confrontation de deux hommes autrefois amis, Les Braises évoque cette inéluctable avancée du temps. Livre de l'amitié perdue et des amours impossibles, où les sentiments les plus violents couvent sous les cendres du passé, tableau de la monarchie austro-hongroise agonisante, ce superbe roman permet de redécouvrir un immense auteur dont l'oeuvre fut interdite en Hongrie jusqu'en 1990.
Critiques

Vidéo
Olivier Barrot dans Un livre, un jour, le 25/10/2003
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/2425861001/sandor-marai-les-braises.fr.html


L'héritage d'Esther
traduit par Zéno Bianu et Georges Kassai - Albin Michel, avril 2001
Titre original : "Eszter hagyatéka" (L'héritage d'Eszter), 1939

Présentation (site de l'éditeur)

La fin de l'empire austro-hongrois et ses prolongements crépusculaires ont inspiré des écrivains majeurs comme les Autrichiens Joseph Roth, Stefan Zweig ou Arthur Schnitzler. Il faut y ajouter le Hongrois Sandor Marai (1900-1989) qui, aujourd'hui, est enfin reconnu comme un immense écrivain européen.
L'Héritage d'Esther, publié en 1939, rassemble en un bref récit tout ce qui fait l'art de Marai. Retirée dans une maison qui menace ruine, engourdie dans une solitude qui la protège, une femme déjà vieillissante voit soudain ressurgir le seul homme qu'elle a aimé et qui lui a tout pris, ou presque, avant de disparaître vingt ans plus tôt. La confrontation entre ces deux êtres complexes - Esther la sage, ignorante de ses propres abîmes et Lajos l'insaisissable, séducteur et escroc - est l'occasion d'un de ces face à face où l'auteur des Braises et de La Conversation de Bolzano excelle. Un face à face où le passé semble prêt à renaître de ses cendres, le temps que se joue le dernier acte du drame, puisque "la loi de ce monde veut que soit achevé ce qui a été commencé."

Critiques


VidéoOlivier Barrot dans Un livre, un jour, le 27/4/2001
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/1693930001/sandor-marai-l-heritage-d-esther.fr.html


Divorce à Buda
traduit par Zéno Bianu et Georges Kassai - Albin Michel, octobre 2002
Titre original : "Válás Budán" (Divorce à Buda), 1935

Présentation (site de l'éditeur)

Traduit pour la première fois en français, Divorce à Buda, publié en Hongrie en 1935, s'inscrit dans la lignée de L'Héritage d'Esther ou des Braises, romans qui ont révélé Sándor Márai comme l'un des plus grands auteurs hongrois du XXe siècle.
Unité de lieu, de temps et d'action : dans une Buda somnambulique, deux hommes se retrouvent après de longues années pour un face à face nocturne. L'un est juge, l'autre médecin. Anciens camarades d'école, la vie les a séparés, et c'est aujourd'hui le divorce du médecin, que le juge s'apprête à prononcer, qui les réunit. Autour de la figure d'une femme, la réminiscence du passé fait émerger peu à peu un secret enfoui.
« Roman de la bourgeoisie hongroise, fondatrice de la Hongrie moderne », selon l'auteur, cette oeuvre d'une grande subtilité évoque un monde en crise mais aussi de façon poignante l'ambivalence des sentiments et l'illusion tragique de l'amour total.
 
Critiques


Vidéo
Olivier Barrot dans Un livre, un jour, le 26/11/2002.   Interview de Edgar REICHMANN, journaliste au "Monde"
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/2160530001/sandor-marai-divorce-a-buda.fr.html 


Un chien de caractère
traduit par Zéno Bianu et Georges Kassai - Albin Michel, novembre 2003
Titre original : "Csutora" (Csutora), 1930

Présentation (site de l'éditeur)  

C'est une petite boule de poils qui gambade et aboie. Il n'est pas beau mais semble avoir de l'esprit et bientôt, grâce à ses maîtres, de bonnes manières...
Tchoutora est le nom de ce chiot joyeux que Monsieur a décidé d'offrir à Madame en ce Noël 1928 assombri par la crise économique. Bien qu'attendrissant, le quadrupède se montre vite rétif aux règles que dicte la bonne société à un « être inférieur » de son espèce, et bouleverse de sa turbulente présence la vie du couple...

Sándor Márai, un des plus grands écrivains hongrois du XXe siècle, analyse les moeurs de la bourgeoisie de son époque avec une ironie réjouissante. Drôle, subtil, élégant et incisif, ce roman aux allures de conte moral révèle une facette méconnue de l'auteur des Braises
 

Anecdote

Jeune puli
Recevant l'édition tchèque, Márai note dans son journal (avril ? 1943) : Je ne peux ni comprendre ni contrôler la traduction, mais sur la page de titre je vois, pour figurer mon chien Csutora,  une créature monstrueuse imaginée par le dessinateur tchèque, telle qu'elle lui a été suggérée par le roman - un genre de mélange entre un bâtard de fox à poil dur et de balai de WC.  Pourtant Csutora était un puli et je m'étais efforcé de donner de lui une image fidèle aussi bien intérieure qu'extérieure. Que devient tout ce que nous écrivons et pensons dans les mains des traducteurs, dans l'imagination des autres ?  Quel terrible malentendu dans chaque mot qu'un homme adresse à un autre !
d'après la traduction allemande par Akos Doma du journal  des années 1943-44

Peut-être Márai ne se rappelle-t-il pas qu'il a lui même écrit (p34-35 de l'édition française en livre de poche) :
« - Oui, un pouli de quatre semaines, et qui promet, répond le gardien avec un attendrissement tout professionnel. Le mot fait rire, car qui pourrait imaginer que ce fagot de crin, juste bon à servir, muni d'un manche court, de balai de toilettes, puisse "promettre" quoi que ce soit ? », mais ne serait-ce pas un effet de la traduction ?


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Mémoires de Hongrie
traduit par Zéno Bianu et Georges Kassai - Albin Michel, novembre 2004

Titre original : "Föld, föld!... " (Terre, terre !...), 1972

Présentation (site de l'éditeur)  

L'écrivain hongrois Sándor Márai (1900-1989) est considéré aujourd'hui comme l'une des plus grandes voix de la littérature européenne. Antifasciste avant la guerre, « ennemi de classe » sous l'ère soviétique, témoin d'un monde qui se délite, il connut avant son exil officiel vers les États-Unis un tragique exil intérieur. Rédigés vingt ans après les événements évoqués, ces Mémoires inédits composent une fresque saisissante de la Hongrie à une époque cruciale de son histoire et mettent en lumière le trajet bouleversant de l'auteur des Braises. Avec la sensibilité et la verve caustique qui le caractérisent, Márai raconte l'entrée victorieuse des chars soviétiques en Hongrie en 1944, ses premiers contacts avec l'« homo sovieticus » et l'instauration du régime communiste. Au-delà du témoignage historique, c'est la qualité de son regard, détaché de toute idée préconçue, qui donne à ces écrits toute leur force. Bientôt, face à la bolchevisation forcée, à la censure et à la répression, l'écrivain doit se résigner à l'évidence : l'humanisme est assassiné, on assiste au triomphe d'une nouvelle barbarie à laquelle, une fois de plus, le peuple se soumet. Isolé et impuissant, Márai décide de quitter son pays : « Pour la première fois de ma vie, j'éprouvai un terrible sentiment d'angoisse. Je venais de comprendre que j'étais libre. Je fus saisi de peur », écrit-il la nuit de son départ, en 1948.
 
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Ces mémoires 1944-48 composent la fresque saisissante et amère d'une civilisation qui bascule. | IF
L'Hebdo, 9/12/2004


Métamorphoses d'un mariage
traduit par Zéno Bianu et  Georges Kassai - Albin Michel, octobre 2006
Titre original : "Az igazi ; Judit... és az utóhang " (La vraie personne ; Judit... et l'épilogue), 1941 ; 1980
Ce livre regroupe deux romans parus à quarante ans de distance dont les personnages principaux sont les mêmes : "Az igazi" dont le titre laisse planer le doute sur le sexe de la "vraie personne" (il n'y a pas de genre en hongrois) qui correspond aux deux premières parties et "Judit... és az utóhang". 

Présentation  (site de l'éditeur)          

Roman d'amour, roman de moeurs, fresque sociale, Métamorphoses d'un mariage s'impose comme une oeuvre maîtresse de l'auteur des Braises. Ilonka, Peter, Judit sont les acteurs d'un même drame. Chacun à leur tour, ils confient « leur » histoire comme on décline un rôle. L'épouse amoureuse et trahie. Le mari cédant à la passion. La domestique ambitieuse qui brise le couple. En trois récits-confessions qui cernent au plus près la vérité des personnages par un subtil jeu de miroirs, Sándor Márai analyse avec une finesse saisissante sentiments et antagonismes de classe. Mais, au-delà, c'est la fin d'un monde et d'une société - la bourgeoisie hongroise de l'entre-deux-guerres - que dissèque avec lucidité le grand écrivain de la Mitteleuropa.
 
Critiques

Que restera-t-il de nos amours ?
"Sandor Marai Métamorphoses d'un mariage"
Roman de moeurs et fresque sociale en trois confessions foudroyantes, oeuvre maîtresse de l'auteur hongrois suicidé en 1989.
 
Sándor Márai (1900-1989) est l'écrivain des silences et des attentes. Il aime les personnages immobiles dans la tempête, les femmes brisées et les hommes silencieux. Métamorphoses d'un mariage est l'une de ses oeuvres les plus belles, les plus abouties, mêlant le roman de moeurs et la fiction sociale.
L'Hebdo, 21/12/2006






Sándor Márai (1900-1989) est l'écrivain des silences et des attentes. Il aime les personnages immobiles dans la tempête, les femmes brisées et les hommes silencieux. Métamorphoses d'un mariage est l'une de ses oeuvres les plus belles, les plus abouties, mêlant le roman de moeurs et la fiction sociale.
Christine Ferniot - Télérama n° 2965, le 11/11/2006 

 
Libération
traduit par Catherine Fray - Albin Michel, novembre 2007

Titre original : "Szabadulás " (Libération), 2000

Présentation (site de l'éditeur)

En avril 1945, Budapest est libérée par l’armée russe, au terme d’un siège implacable. Cet épisode historique, que Sándor Márai évoquera vingt-cinq ans plus tard dans ses Mémoires de Hongrie, lui inspire, à chaud, ce roman qu’il achève en quelques mois.
Libération évoque les dernières semaines du siège : dans les caves d’un immeuble se terrent une centaine de réfugiés. L’oreille tendue vers les tirs d’artillerie et le fracas des bombes au-dessus de leurs têtes, ils attendent l’issue d’un combat incertain. Autour de la jeune Élisabeth, fille d’un savant renommé, résistant au nazisme, se rassemblent des gens de toutes origines et de toutes opinions. Au fil des jours, dans l’atmosphère oppressante de ce huis-clos, la solidarité et la courtoisie initiale cèdent la place à la méfiance, à l’agressivité : les caractères se révèlent, les masques tombent. Et tandis que la situation au-dehors évolue, on ne sait ce qu’il faut redouter le plus : les « libérateurs » russes, ou les derniers sévices des nazis acculés...
Dans cette oeuvre dont, par testament, il n’autorisera la publication que pour le centième anniversaire de sa naissance, Márai donne une magistrale leçon de littérature : le matériau brut du reportage se transforme sous sa plume en un récit somnambulique et puissant, empreint d’un profond scepticisme et bouleversant de bout en bout.

Critiques
« Un roman discret, touchant et pudique [.]. La musique unique et poignante de Sándor Márai. »
Stéphane Hoffman, Le Figaro Magazine.

« Atypique dans l’œuvre de Márai, ce livre est une surprise. Il confirme l’envergure de son talent et donne, une nouvelle fois, la mesure du destin particulièrement injuste qui frappa l’écrivain depuis son exil en 1948 jusqu’à son suicide de 1989. »
Jean-Maurice de Montremy, Livres Hebdo.
« Sándor Márai fascine lecteur jusqu’à la dernière page… tellement inattendue ! »
André Rollin, Le Canard Enchaîné.
« On ne remerciera sans doute jamais assez les éditions Albin Michel du travail qu’elles font depuis une dizaine d’années pour faire découvrir à la France, avec Sándor Márai,, l’un des derniers géants de la Mitteleuropa. »
Les Inrockuptibles.
« Une œuvre littéraire poignante et incisive. »
« Sándor Márai (1900-1989) décrit ces minutes de terreur, ces heures d'attente et d'ennui. Son héroïne, biologiste, étudie les réactions humaines comme on le ferait en laboratoire. A travers elle, le grand romancier s'interroge sur le sens des mots liberté et racisme, prenant des exemples à portée de main : un homme condamné par le silence de ses voisins, l'arrivée d'un jeune russe "libérateur" ».
 
Christine Ferniot,Télérama.
« Un roman bouleversant et criant de vérité… »
La page des libraires

Sándor Márai sur la génèse de "Libération" (d'après le journal de Sándor Márai, année 1945)

Ecrit dans une sorte d'urgence dans les semaines qui ont suivi la levée du siège de Budapest par les troupes soviétiques, ce livre fait l'objet de plusieurs notes dans le journal de Sándor Márai pour l'année 1945.  Il est impossible de donner des dates précises, Márai ne les indiquant pas.

Un matériau extraordinaire entre les mains d'un touche-à-tout du théâtre : sous le titre "Abri anti-aérien", décrire un siège pendant lequel dans la cave d’un immeuble de rapport d’une ville détruite, dépeuplée, des gens « éduqués » oublient toute forme d’éducation à la première explosion de grenade et deviennent semblables à des animaux, pire que des bêtes, n’apprennent rien, n’oublient rien, et quand le premier soldat ennemi pénètre dans la cave et qu’ils sont « libérés » du cauchemar du siège, ils recommencent à zéro la comédie mensongère de la « culture ».
...
Une dame. Elle raconte que pendant le siège elle et d’autres femmes ont été brutalement attaquées dans la cave par les russes. Lorsque, au matin elle était sortie, le jeune russe avec qui elle avait passé une nuit forcée, était étendu sur le trottoir avec une balle dans le crâne. Elle raconte l’histoire tout simplement, pour ainsi dire accessoirement.
...
... [je] suis tout excité, tant je sens les possibilités, la réalité particulière que ce thème diffuse : « Libération ». Ecrire sur « devenir libre » ! Sur l’aspiration à la liberté, à la lumière de celui qui est dans l’insupportable, dans une cave pendant le siège, au milieu des cadavres, dans le cloaque, le monde souterrain, le nœud coulant du bourreau autour du cou. Et soudain la libération. (Une femme écrirait cette scène pour son amant, pour un homme qu’elle retrouve après le siège ; et dans leur solitude à deux se glisse une distance particulière : l’homme sent qu’« il s’est passé quelque chose » pour la femme, qu’elle n’est plus tout à fait sienne …) La femme décrit le siège, les croix fléchées, la cave, les nuits et les jours dans la cave, l’attente qui devient toujours plus dévorante, toujours plus horrible, plus insupportable ; et puis la libération. Un matin un russe apparait dans la cave. (Peut-être le blond de Sibérie qui a passé une nuit chez nous.) Et abuse de la femme. Dans la rue les combats font encore rage. Et le russe s’en va sans un mot. La femme se hâte à sa suite et trouve le violeur mort devant la porte. C’est le matin, un cosaque patrouille, descend la rue « libérée » au trot de son cheval au milieu des éclats de verre. Au coin de la rue on se bat encore. Voilà le cadre.
...
Il faut que je laisse tout de côté et que j’écrive le livre de la Libération.
Et il faut l’écrire à la troisième personne parce que c’est plus concis, plus dramatique ; le lyrisme de « Confessions » ne doit pas diluer ce qu’il y a d’implacable, de dur, de simplement définitif dans le thème.
...
J’ai tout mis de côté et commencé Libération. Dans cette entreprise il y a aussi pour moi une sorte de libération. Ce n’est pas moi qui ai décidé, je ne fais véritablement qu’obéir aujourd’hui à un commandement, à un ordre supérieur. J’écris à la troisième personne, parce que c’est plus impersonnel, plus froid. Le thème est tellement brûlant, il bout comme du fer en fusion ; il faut le verser avec une louche rigide pour que ça ne déborde pas … Le brasier d’une confession à la première personne ne ferait qu’augmenter la chaleur naturelle du thème.
Vidéo
Olivier Barrot dans Un livre, un jour
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/3543707001/sandor-marai-liberation.fr.html

Le premier amour
traduit par Catherine Fray - Albin Michel, novembre 2008

Titre original : "Bébi, vagy az első szerelem " (Bébi ou le premier amour), 1928

Présentation (site de l'éditeur)

Dans une petite ville de la province hongroise, un respectable professeur de latin mène une vie terne et solitaire, dénuée de surprise. Lorsqu’il entreprend de tenir son Journal, pour « faire passer le temps », cette apparente tranquillité vole en éclats. Au fur et à mesure qu’il confie les menus faits et gestes de ses journées, des bribes de souvenirs d’enfance lui reviennent, la glace qui recouvrait ses émotions se craquèle, et sa propre vérité surgit enfin. Cette première fêlure en annonce une autre, qui va faire basculer sa vie : un premier amour, violent, tardif, ravageur…
Sous la forme du journal intime, ce premier roman de Sandor Marai relate de manière saisissante la renaissance et la descente implacable d’un homme dans la psychose. Il impose d’emblée le talent magistral du grand auteur des Braises, L’Héritage d’Esther, Métamorphoses d’un mariage


Critiques
Saisissant dans sa cruauté autant que son empathie, le récit de la crise existentielle profonde que traverse le antihéros de Márai contient en germe son œuvre à venir. Même en hiver, le premier amour est toujours le plus fort.






Isabelle Falconnier. L'Hebdo, 13/11/2008

Dans ce premier texte comme dans d'autres romans, tels que Les Braises et, surtout, Métamorphoses d'un mariage, l'écrivain hongrois insiste toujours sur les rituels de ses personnages, leur banalité silencieuse dissimulant une violence infinie, perçant les apparences pour transformer l'illusion du confort en tragédie sociale.
Christine Ferniot - Telerama n° 3071, 22/11/2008
Critique complète : http://www.telerama.fr/livres/sandor-marai-le-premier-amour,35932.php

Vidéo
Olivier Barrot dans Un livre, un jour
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/3792850001/sandor-marai-le-premier-amour.fr.html


Le miracle de San Gennaro
traduit par Zéno Bianu et Georges Kassai - Albin Michel, octobre 2009
Titre original : "San Gennaro vére " (Le sang de San Gennaro), 1965

Présentation (site de l'éditeur)

Situé en 1949 à Naples, où Marai passa quelques années avant d’émigrer aux Etats-Unis, ce roman, largement autobiographique, brosse un tableau plein de vie et d’humour du petit peuple du Pausilippe. Comme égaré dans ce quartier haut en couleurs, deux ombres : un couple d’étrangers discrets, jamais nommés autrement que « l’homme » et « la femme ». Viennent-ils d’Amérique, d’Angleterre, de Pologne, nul ne sait. Un jour, l’étranger est retrouvé mort au pied d’une falaise.
A travers l’enquête du vice-questeur et les récits de ceux qui côtoyaient le disparu (sa femme, un franciscain, un agent de police), se dégage un portrait complexe et paradoxal de ce réfugié au statut instable et fragile, qui jouait, sans le vouloir, le rôle d’un messie dans cette ville où, chaque année, le sang de San Gennaro (Saint Janvier) se liquéfie miraculeusement.
Récit de l’exil et du déracinement, ce roman désenchanté confirme l’immense et douloureux talent de l’auteur des Braises.


Critiques
 
L'étrangère
traduit par Catherine Fray - Albin Michel, novembre 2010

Titre original : "A sziget" (L'île), 1934

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"Il redoutait ce tout petit endroit que sa famille et ses amis lui avaient pourtant dépeint sous des couleurs attrayantes et rassurantes mais qui l’assommait à l’avance. C’est mon destin, pensa-t-il."

Par un jour d’été torride, un homme arrive dans un hôtel d’une petite station balnéaire de la côte dalmate. Il cherche à guérir d’une dépression, et fuit à la fois sa maîtresse qu’il vient de quitter, sa femme, sa fille, ses amis, son travail. Il fuit le questionnement qui le hante : que cherche-t-on, qui se dérobe constamment, derrière le désir, la passion, quel manque insondable aspire-t-on à combler à travers chaque acte de sa vie ? Au terme de quatre jours fiévreux durant lesquels il revit les étapes de son adultère – occasion pour Sándor Márai de stigmatiser avec une ironie mordante les conventions sociales et d’analyser crûment les balancements d’un cœur masculin –, il prend une décision soudaine et folle qui va faire basculer sa vie.

Avec une finesse psychologique toujours aussi troublante, ce récit implacable de la déchéance d’un homme évoque le pouvoir destructeur de la passion amoureuse et s’impose parmi les meilleurs romans de l’auteur des Braises, un des derniers géants littéraires de la Mitteleuropa.
 
Critiques

cité dans "Le meilleur de 2010" par L'Hebdo (Suisse)
L’étrangère de Sandor Marai. Un chef-d’œuvre mélancolique et romanesque sur les difficultés d’aimer et de vivre dans la Mitteleuropa dalmate des années 30. Albin Michel.

Avec un talent qui émerveille et semble couler de source, l’auteur de Braises, Métamorphoses d’un mariage ou Le premier amour, reformule les sentiments et les choses pour leur conférer l’éclat du joyau. Se plonger dans l’un de ses livres suffit à vous transformer en otage fasciné et surpris de constater à chaque phrase, à chaque page, combien son monde qui pourtant plonge ses racines dans la Mitteleuropa du début du XXe siècle conserve une paradoxale actualité et une saisissante pertinence.
Mireille Descombes. L'Hebdo, 24/11/2010 


Márai est un écrivain d'une cruauté infinie, détaillant la mesquinerie des hommes, tout juste capables d'éprouver de « petites souffrances » qui jalonnent leur existence médiocre. Laquelle ne s'achèvera pas mieux qu'elle n'avait commencé.
Christine Ferniot - Telerama n° 3175, le 20/11/2010


 
La soeur
traduit par Catherine Fray - Albin Michel, octobre 2011
Titre original : "A nővér" (L'infirmière), 1946

Présentation

Écrit juste après Les Braises, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, La Sœur est le dernier livre que publie Sándor Márai en Hongrie, peu avant son exil. Ce très grand romancier de la Mitteleuropa y est au sommet de son art.
En 1939, un pianiste hongrois en pleine gloire est brusquement hospitalisé à l'issue d'un concert à Florence, victime d'un mal mystérieux. Il va passer trois mois en proie à de grandes souffrances, dans un état quasi-hallucinatoire parfois, tandis que quatre infirmières, des religieuses à la fois bienveillantes et un peu inquiétantes, lui dispensent l'oubli à coup de morphine. Ce sont ses « rendez-vous chimiques » qu'il attend avec l'impatience d'un amant. Tandis qu'au-dehors la guerre se déchaîne, Z. mène à huis clos un combat contre un mal intérieur dont il cherche les causes. C'est ainsi qu'il revisite la relation passionnelle qu'il entretient depuis plusieurs années avec une femme mariée, belle et frigide. Un bonheur qui se nourrissait du manque et du déni. Mais la dépossession de soi qu'engendre la maladie est peut-être le premier pas vers une renaissance.
Dans ce roman contemplatif, somnambulique et profond, Márai développe une réflexion subtile sur la maladie comme révélateur, l'impuissance de l'artiste, l'amour instrument de vie et de mort, mais aussi sur le don de soi et la générosité qui sauve.

Sándor Márai sur son roman

Deux ans auparavant (1943) Sándor Márai a été victime d'une grave maladie, neurologique semble-t-il, qui lui a laissé un temps quelques séquelles pour la marche.

Quel sens a un livre comme « La sœur » ? (Je suis en train d’en écrire les dernières pages et je les écris avec mes dernières réserves nerveuses* …) Relater en style agréablement narratif quelques aléas humains interchangeables ? Est-ce de la « littérature » ?
Bien sûr, le monde pourrait sans problème continuer à exister sans ce livre ; ce n’est pas un « chef d’œuvre » ; il est imparfait et surtout superflu. Pourtant il porte témoignage de quelque chose, prête une voix à quelque chose, exprime quelque chose et donne naissance à quelque chose qui n’est jamais exprimé et éveillé à la vie de manière superflue : il parle de la passion. De cette force qui est le sens le plus profond de chaque être et de toute existence.

* Dans les pages précédentes de son journal Márai décrit le spectacle tragique de Buda en ruines après la levée du siège où sa maison a été entièrement détruite.

Critiques

Ma critique
Qu’on ne s’y méprenne pas. Ce roman ne traite pas d’une relation familiale. La sœur (le titre hongrois serait plus justement traduit par « L’infirmière ») dont il est question est l’une des quatre religieuses (mais laquelle ?) qui soignent pendant plusieurs mois le personnage principal du roman de Sándor Márai, un célèbre pianiste, Z., tombé brusquement et mystérieusement malade à la fin d’un concert à Florence.
Mais le titre n’est pas l’élément le plus déroutant du roman. Comme bien souvent chez Sándor Márai, « La sœur » comporte plusieurs parties bien distinctes et la première partie qui se déroule dans une auberge de montagne hébergeant pour les fêtes de Noël une société très mélangée semble, malgré un incident tragique (le suicide d’un couple illégitime et insignifiant), ne servir qu’à introduire la relation qui s’établit entre le narrateur et Z. Et à justifier que ce dernier lui lègue le récit de la maladie qui l’a éloigné des salles de concert et même de la société qu’il fréquentait auparavant.
Tout ce roman tourne autour de la vie, de la mort et de la maladie, constitue une longue réflexion sur les forces obscures qui gouvernent l’âme et le corps,
leurs faiblesses, leurs dérèglements. Z. sortira de sa maladie de manière aussi mystérieuse qu’il y est entré mais pas sans dommages.
Comme presque toujours chez Márai, l’essentiel du roman s’articule autour de monologues (le monologue intérieur de Z. et ses faux dialogues avec les personnages qui gravitent autour de lui, le professeur de médecine, son assistant, les soeurs et le narrateur).
Mon opinion : même à travers la traduction je ressens la perfection du style qui rend justice à une réflexion personnelle, forte, profonde, qui, même si je n’en partage pas toutes les conceptions, offre à ma propre pensée des pistes à explorer. En particulier sur la maladie et la mort, moi qui les côtoie fréquemment par mon activité d’accompagnant de malades dans des phases critiques de leur maladie.
Et puis il y a quelques pages splendides sur les réflexions du musicien professionnel au sommet de son art, saisi soudain par le doute, pages qui ont touché en moi les fibres sensibles du musicien amateur.
Attention : ce n’est pas du tout un livre à recommander à ceux qui aiment l’action ou des rebondissements de l’intrigue ! Ils n’y trouveraient décidément pas leur compte.

Critiques

Les étrangers
traduit par Catherine Fray - Albin Michel, octobre 2012
Titre original : "Idegen emberek " (Etrangers), 1931

Présentation (site de l'éditeur)

Écrit en 1930 après un séjour de cinq ans à Paris, ce « roman français » d’inspiration autobiographique est un texte important dans l’œuvre de l’immense écrivain hongrois Sándor Márai.
1926. Après un an d’études à Berlin, un jeune docteur en philosophie de Budapest arrive à Paris pour quelques mois. Étranger à ce pays qui le fascine et le rejette à la fois, il évolue parmi d’autres étrangers. Comme lui, tous survivent tant bien que mal dans le Paris de la fin des années folles, des cafés de Montparnasse aux hôtels miteux du quartier latin. Philosophe déraciné, exilé volontaire, promeneur inquiet… l’identité floue du personnage évolue au gré d’une errance qui se prolonge dans une Bretagne idyllique où l’entraîne une femme rencontrée par hasard. Récit initiatique, fabuleuse peinture de Paris, ce livre est une troublante réflexion sur l’exil, autant réel qu’intérieur, qui a nourri la vie et l’œuvre de Sándor Márai.

Critiques

Voir ces différents sites
http://www.hebdo.ch/sandor_marai_le_ressuscite_eternel_164459_.html
http://www.decitre.fr/livres/les-etrangers-9782226244291.html
http://toutelaculture.com/2012/10/les-etrangers-sandor-marai-decrit-le-paris-de-lentre-deux-guerres-a-travers-les-yeux-dun-jeune-immigre-hongrois/
http://www.lalibre.be/culture/livres/article/763961/sandor-marai-exile-de-lui-meme.html
http://www.babelio.com/livres/Mrai-Les-etrangers/419060


Ma critique

Comme ce blog le prouve, je fais partie de ceux que le critique de « La Libre Belgique » qualifie de « monomaniaques de bon goût » de l’auteur hongrois (merci, Eric de Bellefroid). Et pourtant, pour la première fois je me suis un peu ennuyé à la lecture d’un de ses romans, essentiellement dans sa première partie. Peut-être avais-je eu le tort de relire juste avant « Les Confessions d’un Bourgeois » (parues quelques années après « Les étrangers »), où l’épisode parisien des tribulations de Sándor Márai est passionnant. Il me semble que la transformation de ce moment de sa vie en chapitres d’un roman ait moins réussi à Márai. Attendant « qu’il se passe quelque chose », je ne me suis pas vraiment intéressé aux errances parisiennes du jeune docteur en philosophie hongrois, ni à la galerie de personnages secondaires, à leurs stations prolongées au « Dôme », à leurs conversations sur l’art ou sur les citoyens du monde.
Ceci dit, il reste des formulations savoureuses dont Sándor Márai a le secret et si bien rendues par la traductrice, Catherine Fray.
Sur le charme de Paris par exemple :
« Il errait, flânait et observait, il commençait à deviner quelque chose – que le terme charme de Paris, que les agents littéraires et artistiques avaient mis en circulation comme une sorte d'attraction pour les étrangers, n'était ni Mistinguett, ni les parfums et les res­taurants, ni les mirages de la nuit mais quelque chose d'entiè­rement différent, très difficile à définir et encore plus difficile à trouver, qui n'est rien d'autre que l'évidence avec laquelle tout est à sa place, que tout est bien tel qu'il est et que tout le monde fait ce qu'il veut, avec l'intention de n'être à la charge de personne. Le charme de Paris, c'était l'atmosphère. On vivait plus près de soi et de la vie. Tout était plus proche, la tristesse, la joie et l'ennui, plus sincère et plus naturel. »

Ou dans la description d’une femme priant à St Etienne du Mont :
« …il aperçut une jeune fille agenouillée devant l'autel d'un bas-côté, le visage caché dans la paume de ses mains, et qui pleurait. … Les sanglots secouaient de hoquets et de spasmes la silhouette agenouillée de la femme ; elle portait une robe claire et, sur son cou penché en avant, on pouvait distinguer les poils blonds de sa nuque rasée. Alentour, c'était le seizième siècle familier, ce mélange natu­rel de gothique et de Renaissance, cette bâtardise classique. La femme portait des bas de couleur chair et des souliers vernis. Ses jambes sanglotaient aussi, à part, ses hauts talons et ses chevilles aux os saillants tremblaient. Elle pleurait avec la facilité de quelqu'un qui sait comment se déroule ce petit drame physique, elle pleurait comme elle aurait déjeuné ou pris un bain. Puis elle renifla discrètement, soupira, prit son sac qu'elle avait posé sur la marche de l'autel, se moucha, émit un dernier soupir résolu, venant de très loin et, ayant accompli ce qu'elle avait à faire ici, elle sortit son poudrier et son rouge, porta un petit miroir en face de sa bouche, arran­gea ses lèvres, poudra ses paupières, fit le signe de croix et se releva. »

Et cette phrase choc sur les prétentions littéraires des Français : « … à sa droite, il y a un petit homme … qui a écrit un tout petit livre car il est écrivain et français, ce qui est un pléonasme parce que, à Paris, tous ceux qui possèdent l’orthographe écrivent, et d’ailleurs les autres également. »

Et puis il passe à la première personne dans la deuxième partie (Sándor Márai est coutumier de ces romans où l’« action » à proprement parler est précédée d’une sorte de long prologue n’ayant souvent que peu à voir avec elle - La conversation de Bolzano, La sœur et surtout Le miracle de San Gennaro). On change complètement de décor, plongeant dans une Bretagne profonde auprès de l’étrange jeune femme qui a littéralement enlevé notre jeune hongrois, parce qu’elle avait aimé ses mains : « Quand je les ai vues, je me suis dit, c'est extraordinaire que là-bas au loin, quelque part, se soient fabriquées des mains semblables aux miennes. C'était la chose la plus étonnante. Tes mains ne m'ont pas fait peur. J'ai songé que je pourrais tout accepter de tes mains. Il y a des hommes qui battent les femmes. Toi, je suis sûre que tu ne me battras jamais. » Il découvre la mer (« Je n’ai jamais vu ni entendu la mer »), les paysages, la pêche, les estivants britanniques (« la pensée que des chômeurs anglais puissent engloutir leurs indemnités dans notre Bretagne ne peut que nous réjouir »), la messe dominicale et l’enclos paroissial, le brouillard. On a l’impression qu’il s’y installe sans vraiment se poser de question, observant la vie locale, y participant même. Il vit, par exemple, cette scène assez effarante d’une veillée mortuaire où l’attention se focalise sur la qualité du gigot.
Mais après quelques semaines la jeune femme va le quitter pour un peintre dont la pomme d’Adam « [lui] était si familière » et surtout qui était français, lui. Car notre jeune hongrois est d’abord et avant tout « un étranger », d’abord intriguant et attirant, mais avec qui il n’est pas possible d’envisager une relation durable. Il se ressent d’ailleurs terriblement comme tel : « J’entends ma voix, j’ai l’impression d’entendre un étranger. » Et, elle le jette comme on jette un mouchoir en papier après usage. Et ses derniers mots « prononcés de sa voix rauque » sont « Sale étranger ».

Alors il retourne à Paris et prend congé de ses quelques compagnons d’errance parisienne et au moment de partir « il se rappela soudain : ce soir je m'en vais et je n'ai pas vu le tombeau de Napoléon, ni le musée de Cluny, je ne suis pas allé au théâtre, je ne suis pas monté au sommet de la tour Eiffel, je n'ai pas visité le département japonais du Louvre. Je n'ai rien vu, conclut-il, stupéfait. Je ne suis même pas allé à Versailles. »

Eric de Bellefroid a trouvé pour le titre de sa critique dans « La libre Belgique » une belle formule : Sándor, exilé de lui-même. Comme s’il avait pressenti qu’il passerait plus de la moitié de sa vie loin de son pays et de sa langue, il écrit un de ses premiers romans sur ce thème du déracinement, de l’impossibilité pour lui de se replanter quelque part. Et on a l’impression que son personnage flotte, qu’il ne se raccroche à rien, qu’il erre dans sa propre vie. Et que Márai, après son coup de maître du « Premier Amour » et d’autres réussites comme « Les révoltés », lui non plus n’a pas encore trouvé le bon style, la bonne longueur. Et pourtant que de petits bonheurs n’ai-je pas trouvé dans ce roman.


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